
Aménagement occidental
ANALYSE D'UN MODELE
- Retour sur l'ouverture du Parc Disneyland à Shanghai -
16 juin 2016
PREAMBULE
EN QUOI CONSISTE NOTRE TRAVAIL DE RECHERCHE
Au travers de l'implantation de la firme Disney, nous avons étudié les transformations engendrées par l'ouverture d'un nouveau parc à Shanghai et questionné la notion de "Nords".
Etudiants de l'Université Paris 1
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CONTEXTE
Les facteurs d'implantation de la firme américaine Disney
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Cadre entrepreneurial favorable ...
« Les villes deviennent donc les lieux privilégiés du développement économique : elles en sont les acteurs, les leaders et les vitrines. Elles accueillent les pôles de commandement des entreprises chinoises et les bureaux de représentation des firmes étrangères ». En effet, « une entreprise sur dix, fondées en Chine avec des capitaux étrangers, est située à Shanghai au début des années 2000 » (Sanjuan, 2010).
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La CHINE : ouverture économique et politique de ville nouvelle
Depuis la fin du XX siècle, le centre de croissance de l'économie mondiale semble avoir glissé vers la région Asie-Pacifique. Le Comité central du Parti communiste et le Conseil des affaires d’État prend alors, en 1990, la décision d'ouvrir la zone de Pudong de Shanghai puis défini une stratégie d'ouverture et de développement pour faire « le plus rapidement possible de Shanghai un centre mondial de l'économie, de la finance et du commerce », et acquérir une compétitivité offensive dans le marché mondial.
Shanghai, municipalité de rang provincial, modernise sa physionomie urbaine, son organisation et mobilise l'ensemble de son territoire, à travers la succession de vastes programmes d'aménagement entre 1999-2013, « afin d'opérer un desserrement, puis un redéploiement polycentrique de ses activités et de sa population » (Henriot, 2016) vers des territoires nouvellement urbanisés. Le Pudong, comme les autres villes nouvelles périphériques, intègre donc une hiérarchie urbaine polycentrique et contemporaine, qui s'observe aussi bien à l'échelle de la ville-centre qu'à celle de la municipalité.
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L'urbanisation actuelle des métropoles chinoises s'associe au développement du tertiaire et à l'affirmation d'une société de consommation. D'ailleurs la multiplication de pôles commerciaux, souvent créés sous l'impulsion de distributeurs étrangers, avec rues piétonnières, grands magasins voire gigantesques complexes commerciaux et grands distributeurs ont été les premiers indicateurs de ces mutations.
La libéralisation du marché dans plusieurs secteurs, notamment des secteurs modernes (informatique, électronique, etc.) en liaison avec la mondialisation, le rayonnement économique, la modernisation et la situation géographique exceptionnelle (au centre du littoral chinois et à l'embouchure du Yangzi) sont autant de facteurs qui explique la concentration des investissements des entreprises étrangères à Shanghai (12% contre moins de 4% à Pekin en 2007) et l'attraction qu'elle exerce aussi bien sur la population que sur les entreprises nationales et étrangères.
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... à la population tournée vers le divertissement
De plus en plus aisés, les Chinois accèdent aux activités touristiques, faisant émerger une nouvelle classe de « loisir » dans les métropoles chinoises. Ce tournant récréatif, à l’œuvre depuis la fin des années 1990 en Chine, et bénéfique (profitant, développant) au tourisme intérieur chinois, est lié à l'aménagement de temps libre. « La réduction du temps de travail hebdomadaire, de la création des week-ends chômés (?) et de la mise en place de journées de congés tout au long de l'année » permettent à la société chinoise de se mettre en mouvement à des fins de découverte et de divertissement. De plus en plus en famille, des centaines de millions de Chinois profitent notamment des semaines du 1er octobre et de la fête du Printemps pour voyager (Sanjuan, 2010).
La population chinoise est alors concernée par l'esprit de consommation, par de nouveaux modes de penser, de se comporter, de se récréer, imposés en lien avec les modèles culturels véhiculés par les médias. L'évolution de la société ferait même émerger une véritable classe moyenne, urbaine, propriétaire de son logement et parfois de sa voiture, plus enclin à des revendications.

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DISNEYFICATION
Une firme emprise d'occidentalisme qui revoit sa stratégie
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Disney : les parcs à thèmes
Un parcs à thème, comme celui de Disney, est un espace clos a vocation récréative et commerciale. La restauration et les boutiques sont les secteurs qui permettent au parc de dégagé des marges importantes. Son fonctionnement est apparenté à celui de véritables industries puisque leur offre change constamment et leur politique évolue en permanence. Enfin, le parc thématisé se construit autour d'un enjeu principal : l'immersion exclusive du visiteur. Cela peut se traduire par la nourriture, l’omniprésence de l’anglais, les produits dérivée et les marques présentent au sein du parc et bien sûr l’architecture des décors (Main Street USA qui regorgent de références culturelles).
Le parc Disneyland parvient à extraire à toute localité, à tous contexte, le visiteur grâce à une planification alliant logique d'aménagement et logique de consommation, calquée sur le modèle de structuration américain. L’histoire américaine est instrumentalisé pour n’en montrer que le meilleur afin d’évoquer fascination auprès des visiteurs et le faire interagir avec l'entretien de l'American Way of life.

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Les capitalistes de culture : un modèle de contrôle du visiteur orienté pour la consommation
Le visiteurs, soumis a un espace difficilement maîtrisable de primes abords, doit accepter d'être désorienté, puis le parcourir pour le comprendre. Il est ainsi contraint à la mobilité, mais pas à n’importe laquelle puisque ses trajectoires sont soigneusement prévues et encadrées. Il est ainsi dirigé vers la consommation par les boutiques rendues omniprésentes dans le parc. La firme Disney utilise l'aménagement de l'espace (de ses parcs) comme une manière de contrôler, ou au moins d'orienter les flux et les mobilités des personnes, mais aussi les comportements et les choix individuels. Ainsi, elle utilise la consommation, puisqu'il a été reconnue qu'elle cristallisait un moment d'appropriation et de réalisation identitaire, pour véhiculer ses valeurs et son mode de vie occidentales et capitalistes. À travers un mélange d'expériences (cinématographiques, visuelles, orales, tactiles et électroniques), indispensables à la synergie et à la rentabilité médiatique de la firme, Disney entretient un processus de production culturelle et de communication de masse. C'est pourquoi, attirant un public nombreux, les parcs tiennent une place incontournable dans l'univers global, formaté par la firme Disney.

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Se réinventer et s'adapter : la stratégie de « glocalisation » (globalisation-localisation)
L'expansion de l'économie monde travaille directement au renforcement de la puissance américaine et des ses productions culturelles. Toutefois, les capitalistes culturels sont soumis à des contraintes spécifiques quant à l'attractivité de leurs productions et à l'hétérogénéité de leurs audiences. L'industrie Disney, selon Alexandre Bohas, doit périodiquement se réinventer et renouveler leurs symboliques, puisqu'en tant qu'industrie culturelle, elle est confrontées de manière cyclique à une perte d'attractivité symbolique due à la nature aléatoire des productions artistiques, à la surexploitation de leurs œuvres et aux changements socioculturels. Disney doit aussi s'adapter aux mutations socio-économiques afin d'entretenir l'attachement affectif sur lequel repose leur prospérité.
La firme affirme dorénavant son particularisme contribuant à l'enracinement des parcs dans un contexte local. Plusieurs ajustements ont été négocié par l’État chinois pour favoriser l'ancrage du parc à la culture chinoise. Il ne s'agit plus seulement de trouver l'inspiration porteuse ou le concept-clef qui fera d'un film un succès, mais d'être en mesure de correspondre à des transformations proprement sociales, des réceptions et à des appropriation diversifiées, de la part du public. L'entreprise Disney fait également évoluer sa relation aux partenaires étrangers. Au début des années 1990, la stratégie de domination traditionnelle laisse place à une stratégie de partenariat. La confrontation se transforme en dialogue en contractant des alliances avec des partenaires locaux.
REPERCUSSIONS
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Les impacts de l'impérialisme culturel
L'installation d'un parc à thème Disney, s'accompagne de diverses notions (critiques) faisant référence à l'influence de celui-ci sur les grandes composantes de la société (sur les comportements économiques et sociaux, le rapport au divertissement et à l'espace, les infrastructures et leurs agencements etc.).
Certains sociologues, anthropologues et géographes, notamment la géographe S. Brunel, évoque le processus de « disneylandisation » (disneyfication). Il rend compte d'une transformation des territoires par le tourisme, façonnant le monde en un vaste « parc à thème », fortement artificialisé. Ce processus induirait des changements sur les sociétés et les cultures locales (« acculturation »), par la présence de touristes, et pour répondre à leurs attentes. En prolongement, la notion de « muséification » peut-être aussi mobilisée. Ces processus sont des aspects connus et étudiés après l'arrivée d'une firme multinationale occidentale au rayonnement aussi influent, particulièrement lorsqu'il s'agit d'une société cinématographique.
Si Shanghai est, comme le clame les dirigeants chinois, la « vitrine » de la Chine contemporaine, elle pourrait amener à la socialisation, l' « américanisation », l'uniformisation des valeurs, des normes et des modes de vie (« mondialisation culturelle »), véhiculé par Disneyland, du pays. Les alentours de Pudong sont déjà épris des produits des multinationales américaines. Aussi, l'ouverture du parc est considéré comme un modèle de modernisation, à domicile, dont il faut apprendre. Même si la société américaine a marqué des signes d'essoufflement économique ces dernières années, elle n'en reste pas moins un modèle de l'incomparable capacité des américains à rayonner sur le monde.
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Des multinationales qui concurrence le monde rural
Nous l'avons mis en évidence précédemment, « les métropoles littorales ont été les pôles privilégiés d'importation et de diffusion d'une modernité et d'un développement mondialisés. Aujourd'hui, la Chine est en pleine transition urbaine et voit la fin d'une prédominance numérique de son monde rural » (Sanjuan, 2010). Les espaces ruraux sont dorénavant gagnés par l'industrialisation, les équipements urbains et de plus en plus les opérations immobilières et les espaces de loisirs. Cela engendre des conflits d'usage en périphérie de Shanghai, entre l'ancien secteur de développement (la paysannerie) et les nouveaux secteurs (l'industrie de luxe, la haute-technologie et les loisirs).
Au travers de La nouvelle sociologie chinoise (2008), Li Youmei, Professeur de sociologie et Vice-Présidente de l'Université de Shanghai, met en lumière la collision qui s'opère dans les espaces périurbains de la métropole chinoise. « Au fur et à mesure de l’ouverture et du développement de Pudong, les technologies, systèmes d’entreprise, mécanismes de marché et systèmes de connaissance des pays occidentaux développés ne cessent de pénétrer cette zone et entrent en collision avec le système économique et politique local, les modes d’organisation sociale et les systèmes de valeurs culturelles des paysans » (Youmei, 2008). Malgré l'expropriation des paysans et la fermeture de certains sites industriels polluants et obsolètes, appartenant aux secteurs de la chimie, du textile et de la fabrication de pièces mécaniques, sur l'espace du parc, le monde rural tente de s’adapter aux exigences de ce nouvel environnement. Toutefois, les facteurs tels que la distance à la ville, l'orientation économique des espaces ruraux et la connexion aux circuits marchands et de transports rendent l'intégration des espaces ruraux très inégale.
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Tourisme de masse ou tourisme rural : qui est le modèle?
L'avenir de ces espaces pris entre urbanisation et ruralité, marginalisés et concurrencés par les villes nouvelles, se joue sur le choix entre un tourisme de masse avec des complexes comme Disneyland ou un tourisme rural. En 2006, lors du XI ème Plan quinquennal, est défini un programme de « revitalisation et rationalisation » des espaces ruraux en retard de développement, misant sur le « tourisme rural, la construction et la modernisation des infrastructures rurales ». La perception du monde rural change. Suivant la tendance actuelle de recherche d'une alternative aux villes dans les pays développés, les Chinois redécouvrent les espaces ruraux à travers « l'idée de terroirs, de vert, de la nourriture saine et fraîche » (Véron, juin 2013). Ces nouvelles images sont aussi dues à « l'envers environnemental du développement » (Sanjuan 2007). La dégradation de l'environnement entraîné par la modernisation est l'une des priorités du pouvoir chinois afin de réduire les nuisances avec des solutions intégrées de développement durable. Les espaces ruraux sont dont peu à peu replacés au centre des préoccupations et des loisirs.
Cependant, « d'un espace de production agricole, aux communautés paysannes soudées, il devient un objet touristique, récréatif ». En effet, le tourisme rural chinois se révèle être aussi aménagé et orienté qu'à l'intérieur de Disneyland. « C'est à travers le développement du tourisme qu'une nouvelle ruralité, inventée, est en cours de construction ». L'espace rural chinois est alors aménagé pour atteindre un objectif précis, comme l'est l'investissement dans un parc pour la firme Disney. Il peut même parfois prendre l'aspect d'un parc à thème, par exemple « les parcs touristiques de l'agrotourisme » (Véron, décembre 2013).

PERSPECTIVES
L'une des mutations majeures de la Chine au XX siècle tient à la place prise aujourd’hui par la ville. Les villes chinoises sont, ou ont été, les instruments et les pivots essentiels des réorganisations spatiales du pays à l'époque contemporaine. Grâce à son évolution structurelle, il pénètre dans la hiérarchie mondiale avec un poids certain. Toutefois mondialisée, la Chine se veut attentive aux influences étrangères. Cela particulièrement lorsqu'un géant américain comme Disney installe à son effigie l'outil le plus populaire, un parc à thème.
La mondialisation, à la fois économique, sociale, culturelle et touristique, dans divers contexte, impacte de manière péjorative le fonctionnement des sociétés locales. Cependant, « la mondialisation n'est pas uniforme, une diversité d'attitudes peut être distinguée dans la pénétration et l'appropriation des biens-symboles américains » (Bohas, 2010). La question sera d'identifier, si en Chine, la mondialisation est « substantielle », c'est à dire dont la portée affecte l'ensemble de la vie sociale, ou « fine », où la croissance des flux reste sans conséquences. Cela semble discutable au regard du devenir des espaces périphériques, partagés entre activités agricoles et traditions ou exploitation touristique et développement, puisque de grands complexes touristiques, amenés par les puissances des Nords, s'installent.
Aussi les pays développés, les "Nords", voient la Chine comme un pays aux potentialités riches et variées. Ils induisent alors un changement de stratégie, comme celui opéré par l'entreprise américaine, avec une volonté de s'adapter, pour pouvoir intégrer ce territoire et bénéficier des possibilités qu'offre le gouvernement chinois.
Enfin, « la modernisation des campagnes par le tourisme rural participe à la cohésion de la société civile chinoise. Le tourisme [développé dans ce sens] devient un système complexe, au service de l’État-parti : la réaffirmation de la Chine sur la scène mondiale passe par l’unité de son territoire et de sa société. Les pratiques touristiques domestiques participent ainsi à la construction identitaire nationale » (Véron, décembre 2013). Alors est-ce que, par l'installation de Shanghai Disneyland et le développement du tourisme intérieur qui en découle, les États-Unis participent, indirectement, à l'affirmation de la puissance chinoise ou marque leur impérialisme culturelle ?
Finalement, dans la continuité des études politico-culturelles des relations Nords-Suds, l'ouverture du parc Shanghai Disneyland se retrouve à l'interface des enjeux de puissance et d'influence, partagés par les Etats-Unis et la Chine. En effet, la Chine considère l'ouverture comme un signe significatif de modernité et de puissance à venir. Les Etats-Unis, quant à eux, ont réfléchis l'ouverture du parc par nécessité de maintenir leurs activités économiques notamment, mais aussi leur diffusion culturelle de masse.
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BIBLIOGRAPHIE
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Carine Henriot, « Les politiques chinoises de villes nouvelles : trajectoire et ajustements de l'action publique urbaine à Shanghai », Géocarrefour, 2015, 27-38.
Thierry Sanjuan, Pierre Trolliet, « La Chine et le monde chinois, une géopolitique des territoires », collection U, Armand Colin, 2010.
Thierry Sanjuan. « Atlas de la Chine : les mutations accélérées », Ed. Autrement, 2007.
Alexandre Bohas, « Disney. Un capitalisme mondial du rêve. », L'Harmattan, 2010.
Laurence Liégeois, « Espace labyrinthique et contrainte », Géographie et cultures, 2009, 37-56.
Li Youmei. Chapitre 7. « Processus d'émancipation et production d'action individuelle et collective. Étude sur la question paysanne dans l'ouverture et le développement de la nouvelle zone de Pudong dans les années 1990 » In : La nouvelle sociologie chinoise. Paris : CNRS Editions, 2008.
Emmanuel Véron, « Les espaces ruraux touristiques dans le delta du Yangzi, entre intégration ville-campagne et développement rural », EchoGéo [En ligne], 26 | 2013, mis en ligne le 19 décembre 2013
Emmanuel Véron, « Transformation des campagnes et tourisme rural en Chine, vers de nouveaux rapports ville-campagne : l'exemple de la périphérie de Shanghai », Perspectives internationales, 20/06/2013.
Maria Gravari -Barbas, « La ville à l’ère de la globalisation des loisirs », Espaces, Février 2006. Le modèle du parc à thème, qui a déjà fortement marqué le monde des musées, influence l’urbanisme de la ville contemporaine
Nolwenn Mingant. Chapitre premier. Stratégies économiques In : Hollywood à la conquête du monde : Marchés, stratégies, influences. Paris : CNRS Editions, 2010.
Thomas Lestavel, « La grande offensive commerciale de l'empire Disney », L'Express, 2016.
